Pour mieux comprendre ce qu’est un réflexe, vous pouvez vous référer à l’article précédent : "Les Réflexes - Partie 1".
Dans ce second article, nous allons aller plus loin dans la compréhension des réflexes en distinguant leur développement et leur intégration selon la famille à laquelle ils appartiennent.
Rappel : les réflexes sont des mouvements automatiques et involontaires. Ils se déclenchent suite à une stimulation sensorielle et/ou physique et ont tous pour fonction la protection et/ou la survie.
Nous avons deux grandes familles de réflexes :
- Les réflexes archaïques, ou primitifs, qui émergent très tôt dans le développement et s’intègrent idéalement dans les trois premières années de vie ; et
- Les réflexes posturaux, ou réflexes de vie, qui se basent sur les premiers pour se développer et doivent rester actifs tout au long de notre vie.
Les réflexes archaïques, ou réflexes primitifs
Les réflexes archaïques peuvent être considérés comme le mode d’emploi du corps, surtout lorsque le nourrisson n’a pas encore bien conscience de celui-ci et apprend à développer un certain contrôle sensori-moteur. Leur présence est le signe d’un bon développement du système nerveux chez le bébé. C’est cette maturation cérébrale que teste le pédiatre avec l’observation de leur présence après la naissance.
Les réflexes archaïques forment la base de nos facultés motrices et de nos apprentissages.
Ils interagissent entre eux et avec nos sens et s’expriment d’avantage sous stress (Cf. protection et « mode survie »).
À mon sens, cette famille de réflexes constitue la base de notre fonctionnement, sur lequel nous nous construisons tous. Si la base est mouvante et manque de stabilité, nous aurons beau construire une superbe maison, avec de belles fenêtres et de jolies briques, cela ne tiendra pas dans la durée et finira forcément par se fissurer. Faire un tour du côté des réflexes archaïques est donc primordial pour renforcer sa base, avant, pendant ou après une construction.
Certains réflexes apparaissent pendant la vie fœtale, d’autres pendant l’accouchement, et quelques-uns dans les semaines qui suivent. Après leur apparition, chacun de ces réflexes primitifs (plus de 70 observés) a une phase d’activation plus ou moins longue, puis une phase d’intégration. Ce programme est commun chez l’être humain, même si des subtilités métaboliques interpersonnelles existent.
Voici une image illustrant la courbe de croissance d’un réflexe archaïque, avec son émergence (apparition du réflexe), sa phase d’activation ou de maturation (durant laquelle le réflexe est utilisé) et sa phase d’intégration (âge variable selon les réflexes) :
Exemples de réflexes in-utéro :
Un des premiers réflexes à émerger dans le ventre de la maman est le Réflexe de Paralysie par la Peur (RPP), dès la 5ème semaine de gestation environ. Ce réflexe se développe au niveau de la colonne vertébrale et fait référence à un des trois modes de défense du cerveau reptilien face au stress : la paralysie par la peur (« le lapin devant les phrases »).
En effet, suite à un contact tactile sur le ventre de la maman ou à un choc, on peut observer un retrait brusque et rapide du fœtus, qui « se fige » à l’intérieur de sa mère. Il s’agit là du tout premier réflexe de protection de l’homme et il émerge déjà in-utéro.
Le réflexe de succion est un autre exemple très parlant de réflexes qui émerge in-utéro car beaucoup de parents ont des échographies de leur fœtus suçant son pouce dans le ventre de la maman. Ce réflexe émerge entre la 9ème et la 10ème semaine in-utéro et est pleinement actif à la naissance. Il s’intègre vers le 4ème mois après la naissance, c’est-à-dire que le bébé commence alors à téter volontairement et à développer un contrôle de la sphère oro-faciale.
On parle d’intégration d’un réflexe archaïque lorsque le stimulus qui le déclenche n’active plus de réaction involontaire, car la personne a développé un contrôle suffisant de ses chaînes musculaires pour déclencher un mouvement volontairement. Pourtant, un réflexe intégré ne disparait pas pour autant. Il reste stocké dans notre cerveau reptilien (« notre placard au fond du cerveau ») et se tient prêt à ressortir à tout moment en cas de besoin.
L'émergence et la maturation des réflexes archaïques sont indispensables à la survie et au développement de l’enfant. Mais pour poursuivre ce développement de façon harmonieuse, leur intégration est également importante.
Rassurez-vous, nous n’avons pas besoin d’avoir intégré parfaitement tous nos réflexes archaïques pour fonctionner. D’ailleurs, de nos jours, très peu de personnes ont leurs réflexes primitifs intégrés à 100% et elles fonctionnent quand même très bien ! Nous développons alors des stratégies que l’on appelle des compensations pour pallier le manque de contrôle et d’intégration de nos réflexes primitifs. Sur un plan métaphorique, ces compensations reviennent à jeter des seaux d’eau sur les sables mouvants qui nous servent de base : cela renforce temporairement le sol mais n’a pas pour vocation de durer indéfiniment. De plus, ces compensations s’avèrent très coûteuses pour la personne qui doit faire des efforts conscients pour réaliser des choses du quotidien, ne pouvant les automatiser efficacement ou ne parvenant pas à contrôler des mouvements parasites.
Que se passe-t-il lorsqu’un réflexe archaïque ne se développe pas normalement ?
Développement insuffisant
Dans certains cas, principalement des cas pathologiques, un ou plusieurs réflexes archaïques peuvent ne pas bien se développer ou émerger avec un retard important. Cela peut générer des difficultés dans le développement du bébé et même sa survie.
Si nous reprenons l’exemple du réflexe de succion : à la naissance, le cordon ombilical est sectionné et la succion devient le seul moyen qu’a le nourrisson de se nourrir. Ce moyen fait normalement partie des compétences de base du bébé, qui nait en ayant parfait cette compétence in-utéro. Imaginons un bébé naissant sans avoir développé ce réflexe vital pour son alimentation (cela existe malheureusement) ou n’ayant pas pu s’entraîner suffisamment. Ce bébé serait donc incapable de téter même si on lui présentait le sein ou un biberon plein dans la bouche. Cela prendrait plusieurs semaines avant de parvenir à le lui enseigner efficacement par rééducation et il ne tiendrait pas aussi longtemps sans se nourrir. Heureusement, de nos jours, nous avons des outils pour aider un bébé qui ne sait pas téter à se nourrir (tétines adaptées, sondes dans les cas les plus sévères). Mais à une époque, cela pouvait lui être fatal.
De plus, ce bébé va donc avoir un retard considérable de contrôle oro-facial, par rapport aux autres bébés de son âge qui auront bénéficié de plusieurs semaines (voire mois) d’entrainement in-utéro avant de rencontrer leur premier mamelon. Comme nous le verrons plus tard, ce retard peut avoir des conséquences sur le développement du langage, les compétences sociales et relationnelles, la confiance en soi, etc.
Il existe plusieurs causes possibles au mauvais développement d’un réflexe archaïque, qui peuvent aussi bien découler des parents, du contexte de vie, que de l’enfant lui-même.
Intégration insuffisante
L’autre cas de développement anormal d’un réflexe primitif est celui de l’intégration insuffisante. C’est le cas le plus courant. Le réflexe émerge et peut maturer correctement, puis il reste actif au lieu de s’intégrer. On parle alors de réflexe rémanent.
C’est un peu comme si la personne fonctionnait soit en mode réflexe tout le temps (le moindre stimulus déclenche son « mode survie »), soit qu’elle a des mouvements parasites qui restent hors de son contrôle et de sa volonté. Les deux peuvent également être combinés, histoire de compliquer encore le développement et l’apprentissage. La rémanence des réflexes archaïques peut jouer sur le contrôle moteur, la coordination, l’autorégulation émotionnelle, l’impulsivité, les réactions excessives, la relation aux autres, les capacités d’apprentissage et de nombreux autres comportements et compétences, selon le ou les réflexe(s) impliqués.
Lorsqu’un réflexe archaïque n’est pas bien intégré, il reste donc présent au lieu d’être rangé dans son placard et de ne ressortir qu’en cas de besoin vital. Chez l’enfant, les réflexes rémanents sont très visibles et assez courants.
En effet, l’intégration des réflexes passe principalement par le mouvement et dans nos sociétés, nous attendons des enfants qu’ils soient sages et restent assis toute la journée dès le plus jeune âge. Ils n’ont donc bien souvent pas le temps d’intégrer pleinement leurs réflexes et fonctionnement alors grâce à leurs compensations (comme le fait d’avoir constamment besoin de bouger, entourer les pieds aux pieds de chaise, avoir besoin de faire des sons ou de crier sans même s’en rendre compte, etc.). Certaines compensations peuvent tenir et fonctionner efficacement jusqu’à l’âge adulte, mais elles restent coûteuses, peuvent générer une grande fatigue et jouer sur la confiance et l’estime de soi. Dans un monde de plus en plus exigent, de nombreuses compensations sautent durant la vie active ou bien se révèlent obsolètes ou trop coûteuses pour être maintenues. D’autres compensations ne survivent pas à un évènement douloureux, une tragédie ou un changement de vie (devenir parent, avoir une promotion, déménager, deuil, etc.). C’est alors que des difficultés relationnelles, émotionnelles et/ou comportementales peuvent apparaître, sans que la personne n’identifie toujours la cause ou ne parvienne à y remédier efficacement dans la durée. Là encore, un travail sur les chaînes musculaires et l’intégration (ou la réintégration !) des réflexes archaïques pourra être recommandé selon les cas et s’avérer bénéfique.
Émotions intenses et/ou chroniques
Un troisième cas existe et mérite d’être mentionné. Il s’agit de réflexes archaïques qui peuvent ressortir de leur placard, même après avoir été bien intégrés et venir parasiter le comportement habituel. Bien évidemment cela arrive chez l’enfant et l’adolescent, mais les adultes ne sont pas en reste !
Nous savons que les réflexes archaïques, même intégrés, ne disparaissent jamais et sont stockés dans notre cerveau reptilien. Ils peuvent en sortir en cas de danger ou d’émotion forte pour nous protéger et nous sauver la vie. Nos vies actuelles, surtout en ville, comportent moins de dangers vitaux qu’une vie en pleine jungle avec des animaux dangereux ou venimeux, des falaises à gravir à main nue, etc. Néanmoins, elles sont plus stressantes : bruits et stimulations constantes, exigences importantes, gestion du temps dans l’immédiateté, productivité imposée, etc. De plus, nous passons tous dans notre vie par des moments difficiles tels que le deuil, la séparation… Toutes ces émotions fortes peuvent faire ressortir de leur placard un ou plusieurs réflexes primitifs intégrés. Pour peu que l’émotion soit intense, ou chronique, le réflexe risque de rester actif et de ne pas retourner à sa place. C’est alors comme si la porte du placard restait un peu branlante et que certains réflexes allaient et venaient comme bon leur semble. Cela arrive d’autant plus fréquemment et rapidement si les réflexes n’étaient pas suffisamment bien intégrés à l’origine.
Il n’est donc pas rare qu’après un deuil, les personnes se plaignent d’être moins compétentes au travail, moins réactives, plus débordées émotionnellement, ou avoir des troubles de la mémoire, etc. Rappelez-vous que les réflexes se déclenchent suite à un stimulus physique et/ou sensoriel, et qu’une émotion est avant tout corporelle, donc physique ! Le stress (qui est une émotion) est le premier facteur de déclenchement d’un réflexe archaïque ou postural. Notre tout premier réflexe, le RPP (Réflexe de Paralysie par la Peur) se base même dessus pour émerger. Il est donc logique que nos émotions influent sur nos réflexes et vice versa. Les conséquences d’un réflexe archaïque qui remonte à la surface sont très variables en fonction du réflexe ciblé, de son degré d’intégration et du fait qu’il ressorte seul ou accompagné par d’autres réflexes.
Ce troisième cas de développement anormal des réflexes tend à se renforcer et le nombre de patients entrant dans cette catégorie ne cesse d’augmenter depuis quelques années. J’ai bien peur que la pandémie de Covid-19 et ses conséquences, n’arrange rien et qu’un travail de réintégration collective des réflexes archaïques soit nécessaire.
Les réflexes posturaux ou réflexes de vie
Les réflexes posturaux sont des mouvements automatiques que nous devons développer et qui restent actifs (présents) tout au long de notre vie. Comme les réflexes archaïques, ils doivent émerger et maturer, mais contrairement à eux, ils ne s’intègrent jamais et restent présents. La plupart des réflexes de vie émergent en se basant sur les réflexes archaïques et ils s’emboitent ainsi dans le développement. Le bon développement des réflexes posturaux dépend donc de la bonne intégration des réflexes archaïques. Ainsi, les réflexes posturaux constituent l’aboutissement des réflexes et ceux que nous utilisons quotidiennement sans nous en rendre compte.
Par exemple, le fameux réflexe cornéen dont je parlais dans l’article précédent, fait partie des réflexes posturaux. Le réflexe de protection des mains (ou parachute) également. C’est ce réflexe qui fait que si nous tombons, nous avons tendance à mettre nos mains en avant pour nous rattraper. De même si on vous lance un objet rapidement, vous aurez probablement le réflexe de vous protéger le visage en plaçant vos mains devant vous. Ce réflexe de protection des mains est repérable chez les jeunes enfants par les traces présentes dans le bas de la paume, laissées par les cailloux ou gravier lorsqu’ils tombent. Le réflexe de parachute est indispensable pour protéger la tête en cas de chute et éviter ainsi une commotion ou un accident plus important. Le corps considère qu’il vaut mieux s’écorcher les genoux ou se faire mal aux mains que de se cogner la tête en tombant. Mais ce réflexe, comme tous les autres, a des incidences et des fonctions bien plus complexes que la simple protection physique. Pour aller plus loin dans ce domaine, je vous recommande la partie 3 des réflexes : "les trois strates".
Merci pour votre lecture ;)
10/05/2020
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